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La grande corvée du décrochage scolaire

Des problèmes multifactoriels

Philippe Lambert, ex-décrocheur, étudie au Cégep de Sherbrooke, où il est inscrit en éducation spécialisée.
Philippe Lambert, ex-décrocheur, étudie au Cégep de Sherbrooke, où il est inscrit en éducation spécialisée.

Comme dans bien des cas, la situation scolaire de Philippe en cachait une autre, tout aussi difficile. En plus des problèmes à l'école, il vit une situation familiale instable. Deux problématiques interreliées, qui se nourrissent l'une de l'autre. «Si un enfant a un problème d'apprentissage à l'école, il devra absolument compter sur le soutien de ses parents. Beaucoup d'enfants n'ont pas cette aide. La situation devient particulièrement lourde pour certains jeunes qui n'ont pas l'essentiel: de quoi manger», observe Anne Lessard.

C'est tellement vrai que les choses changent pour Philippe lorsque sa situation familiale s'améliore. Après avoir enchaîné une série de petits boulots exténuants et peu valorisants, il recommence à fréquenter un établissement sherbrookois pour jeunes décrocheurs, l'école Saint-Michel. Il a alors 20 ans, et sa situation familiale s'est stabilisée. Il peut compter sur le soutien de sa mère et d'un nouveau beau-père, présent et attentionné.

Après trois années de dur labeur, Philippe obtient son diplôme d'études secondaires, lui qui n'avait effectué qu'une scolarité présecondaire. «Seuls 14 % des jeunes ayant son profil obtiennent leur diplôme», relève Anne Lessard, qui ne peut s'empêcher d'afficher une fierté évidente lorsqu'elle décrit le parcours de Philippe. Pour elle, il s'agit d'un des cas les plus encourageants qu'elle a pu observer.

Laurier Fortin est professeur en psychoéducation. Il est titulaire de la Chaire de recherche de la Commission scolaire de la Région-de-Sherbrooke sur la réussite et la persévérance des élèves.
Laurier Fortin est professeur en psychoéducation. Il est titulaire de la Chaire de recherche de la Commission scolaire de la Région-de-Sherbrooke sur la réussite et la persévérance des élèves.

La moitié des décrocheurs sont aux prises avec des difficultés familiales. Mais c'est l'accumulation de difficultés sur plusieurs plans qui provoque le décrochage. «Les décrocheurs ont des problèmes sociaux, des problèmes à l'école, des problèmes familiaux, donc des problèmes sur tous les plans», explique Laurier Fortin, titulaire de la Chaire de recherche de la Commission scolaire de la Région-de-Sherbrooke sur la réussite et la persévérance des élèves, à l'UdeS.

Dans les années 70, l'énergie mobilisée autour de la question du décrochage se concentrait la plupart du temps sur un seul aspect à la fois, par exemple, les problèmes d'apprentissage ou le contexte familial. Aujourd'hui, les études montrent que les interventions doivent se faire sur tous ces plans à la fois. Il faut déployer les efforts dans plusieurs directions. Mais ce n'est pas encore le cas, selon Laurier Fortin, qui analyse le phénomène du décrochage scolaire depuis plus de 30 ans. Il estime qu'il subsiste un décalage entre les connaissances acquises par les chercheurs au sujet du décrochage scolaire et les actions mises en place dans les écoles.

En fait, Laurier Fortin est d'avis que peu de progrès ont été faits jusqu'ici à l'échelle du Québec. «On a investi 250 millions de dollars dans la réussite scolaire depuis 10 ans, et ça n'a presque pas bougé. Il y a énormément de programmes qui font l'objet d'expérimentations. Il y a des tables régionales un peu partout, on fait des interventions, mais on évalue peu les résultats», déplore-t-il.